"La violence" selon la théorie de René Girard
La violence selon la théorie anthropologique de René Girard est d’une autre nature que ces violences au pluriel qui pourrissent la vie et remplissent les journaux. René Girard s’est efforcé de penser la violence essentielle, la « guerre de tous contre tous » une violence telle qu’elle menace la survie de l’humanité ;
L’apparition et la prolifération de l’armement nucléaire auxquelles il faudrait ajouter les désordres écologiques liés au changement climatique ont rendu possible sinon pensable cet horizon : l’anéantissement du monde civilisé. René Girard un penseur d’une pertinente actualité.
L’intuition qui féconde la pensée de Girard, lecteur des grands textes de la tradition occidentale est celle de la nature mimétique du désir humain. L’imitation est le propre de l’homme, elle en fait un animal grégaire et éducable mais quand elle porte sur des désirs et des conduites d’acquisition, elle engendre des rivalités : elle est la source de toutes les violences.
« L’imitation ne se contente pas de rapprocher les gens ; elle les sépare et le paradoxe est qu’elle peut faire ceci et cela simultanément. »
Cette pensée est paradoxale dans son principe : non seulement elle installe la violence dans une relation et non dans une commode agressivité naturelle, mais elle nie que le désir humain puisse se rattacher à un « sujet » ou à un « objet » particulier ; nous désirons ce que d’autres, que nous prenons comme « modèles », possèdent ou désirent eux-mêmes (les « modèles » sont bien évidemment tout autant incapables de désirer spontanément et tout le monde imite tout le monde.) Ainsi, l’hypermimétisme des hommes les a précipités dans des rapports de violence dont font état tous les mythes de la planète.
La question que se pose l’anthropologue concerne les conditions de possibilité des cultures : comment les hommes ont-ils pu survivre à leurs rivalités mimétiques ?
« Chaque fois que la violence surgit en un point quelconque d’une communauté, elle tend à s’étendre et à gagner l’ensemble du corps social. »
Autrement dit : comment la violence des hommes, qui n’a pas de « fin » aux deux sens du terme, a-t-elle pu être canalisée, voire utilisée, de manière à rendre possible une histoire de l’humanité ? Girard répond à cette question par l’hypothèse du « mécanisme victimaire ».
C’est un instrument de sélection naturelle : les premiers hommes ont pu se débarrasser de leur violence en métamorphosant à leur insu la « violence de tous contre tous » en « violence de tous contre un ». La violence est devenue économique par le rituel du sacrifice, qui consiste à répéter le meurtre fondateur : « il vaut mieux qu’un seul homme meure plutôt que la communauté tout entière », dit le grand prêtre Caïphe lors de la condamnation de Jésus. Or, le christianisme, en révélant l’innocence des victimes a privé la violence humaine de ses béquilles sacrificielles.
La violence est toujours plus ou moins canalisée, le monde moderne a le souci des victimes, ce dont témoigne l’invention des « droits de l’homme » mais on trouve toujours des « boucs émissaires » et si l’on en juge par les génocides modernes, la violence est de moins en moins économique. Les agresseurs se posent en « victimes » ou en défenseurs des victimes, « on tue pour ne pas savoir qu’on tue ».
« Le souci des victimes est devenu un enjeu paradoxal des rivalités mimétiques, des surenchères concurrentielles. »
L’interrogation sur les origines rejoint l’angoisse des hommes d’aujourd’hui qui se sentent menacés par la « montée aux extrêmes » d’une violence dont la puissance létale a été infiniment accrue par la technologie. Comprendre quels sont les moteurs de la violence, quels sont ses prestiges mais aussi ses freins, pourquoi les anciennes recettes ne fonctionnent plus (la guerre n’est plus une institution chargée d’épargner les civils, par exemple) pourquoi le souci moderne des « victimes » est à la fois un immense progrès moral et un encouragement à les multiplier, c’est prendre la question de la violence à bras-le-corps.
Cette question ne concerne pas seulement les Etats et les sociétés mais aussi les individus. Nous ne nous sentons jamais agresseurs, mais toujours agressés : Renoncer à la spirale infernale de la violence, c’est être capable de se reconnaître soi-même comme persécuteur et non perpétuelle victime.
La pensée de René Girard propose une lecture du phénomène de la violence qui nous aide à comprendre notre histoire et peut donc avoir un impact sur notre avenir.
A lire : La Violence et le Sacré (1972, paru en Poche).
Pour des précisions sur l’ensemble de l’œuvre et des vidéos instructives, voir le site de l’ARM (notamment les vidéos animées « René Girard en 2mn » ) et l'ouvrage « René Girard »dans la collection Que sais-je.
Pour étudiants pressés :