Tocqueville est mentionné par Girard tout au long de son œuvre. Fait significatif, Tocqueville apparaît sur la scène girardienne en 1960 lors d’une conférence où il est étroitement associé à Stendhal : il est hissé à la hauteur de son contemporain, qualifié de romancier génial, en raison de son observation et de sa compréhension des mécanismes mimétiques du désir et de la vanité. Seul de son espèce ou presque parmi les essayistes, Tocqueville aurait ainsi partagé la lucidité de quelques romanciers et dramaturges sans recourir à la fiction. Girard va même lui concéder une forme de supériorité dans Mensonge romantique et vérité romanesque : immunisé contre les poisons partisans, il ne serait pas loin d’expliciter une vérité historique et politique qui reste implicite chez Flaubert et Stendhal.
Tocqueville est donc un invité régulier dans les ouvrages de Girard : ce dernier voit dans la tendance millénaire à l’égalité des conditions, thèse majeure de Tocqueville, le pendant sociologique de sa psychologie interdividuelle fondée sur la mimésis d’appropriation : une communauté anthropologique est de fait envisageable entre les deux théories.
Girard affirme par ailleurs dans un entretien que“s’il y a une science politique, c’est Tocqueville”. Il est alors tentant de se demander si Tocqueville n’aurait pas répondu par avance à l’objection souvent faite à la théorie mimétique qui aurait le politique comme angle mort.
Jean-Marc Bourdin est docteur en philosophie, auteur de René Girard, promoteur d’une science des rapports humains;
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LE CYCLE "GIRARD ET QUELQUES AUTRES ..."
Le cycle "Girard et quelques autres" renoue, selon cette nouvelle formule, avec une tradition de l’ARM qui a organisé depuis sa création de nombreux colloques et journées d’études à confronter la pensée de René Girard (1923-2015) à celle de grands penseurs contemporains. Vous pouvez revoir ces colloques sur le site de l'Association Recherches Mimétiques. www.rene-girard.fr/recherche
Ce cycle coïncide avec la publication prévue en 2022 du premier volume d’un ouvrage collectif en anglais par les éditions Michigan State University Press, réalisé sous la direction de George Dunn et Andreas Wilmes, intitulé René Girard and the Occidental Philosophy : son propos est de mettre en relation, dans chacun de ses chapitres, les concepts de la théorie mimétique avec ceux de grands philosophes, de l’antiquité grecque à la période contemporaine. Certains des auteurs de chapitre sont francophones et pourront nous fournir un aperçu de leurs réflexions en français.
Avec Tocqueville, fréquemment cité dans l'œuvre de Girard, sera examinée la possibilité d’une anthropologie politique mimétique.
Avec Michel Serres, il sera question de la fécondité d’une longue amitié, en particulier à propos de questions épistémologiques chères à Michel Serres.
Avec Pascal, scientifique et métaphysicien, très présent dans "Achever Clausewitz", il s’agira d’évaluer une relation moins évidente qu’il n’y paraît.
Avec Hegel, précisément évoqué dans "Mensonge romantique et vérité romanesque" et "Achever Clausewitz", on se demandera si le philosophe du désir de reconnaissance est un précurseur de la théorie mimétique, question qui se pose également avec Spinoza qui, parmi les premiers, a mis le désir au cœur des rapports humains dans son "Éthique".
En associant in fine le contemporain Derrida, ce parcours sera provisoirement conclu par une interrogation plus générale sur les affinités philosophiques, à l’origine de notre cycle.