Ancien événement

03/05/2020La Chronique de Jean-Michel Oughourlian

Nous sommes, paraît-il, en guerre contre le Coronavirus, un ennemi redoutable, sournois, invisible et tueur.

 

L’histoire de l’humanité se confond avec l’histoire des guerres. Il suffit d’ouvrir un livre d’histoire pour s’en convaincre.

 

Depuis toujours, la guerre est la responsabilité suprême du Politique : c’est au Politique de prendre la responsabilité de faire tuer ses enfants et de tuer les enfants des autres. Tout le monde reconnaissait ce privilège du Politique et sacralisait la Violence en la personne des grands conquérants et chefs de guerre : Alexandre, César, Napoléon et plus près de nous Clemenceau, Churchill ou de Gaulle.

 

Mais le sacré a disparu de la sphère publique, politique, aussi bien que religieuse, dans notre civilisation occidentale, ainsi que Luc Ferry l’a bien montré.

 

De nos jours, le Politique se sent coupable de faire tuer ses propres soldats tout en continuant à se glorifier de tuer ceux qu’il désigne comme ennemis. Le Politique a encore le privilège de choisir ses ennemis et de les massacrer, mais il n’a plus le droit de risquer la vie de ses propres soldats : c’est la philosophie dite du « zéro mort ».

 

Le développement technologique permet cette politique grâce aux avions, aux fusées et aux drones. La bravoure, le courage, le sacrifice sont réservés aux peuples moins bien armés et victimes des bombardements. Les premiers bombardements, les plus spectaculaires, ont été ceux d’Hiroshima et de Nagasaki visant à épargner la vie de millions de soldats américains. Aujourd’hui, les attentats ciblés sont confiés à des drones sophistiqués.

 

Le Politique a donc perdu, avec le sacré, le droit de faire tuer ses propres enfants. On pourrait voir cela comme un progrès de l’humanité si cela résultait d’un surcroît d’humanité et de sagesse. Mais ce n’est pas le cas : si le Politique n’a plus ce droit, c’est qu’il a peur des réactions de son peuple. En Occident aujourd’hui, on considère la perte d’un de nos soldats au combat comme un scandale et on lui rend hommage solennellement.

 

C’est cette peur qui aujourd’hui paralyse le Politique dans sa guerre contre le virus, et celui-ci a agi comme révélateur de cette dévalorisation et de cette désacralisation du Politique auquel personne ne croit plus. La peur se généralise : peur des plaintes judiciaires qui vont pleuvoir aussitôt la crise passée. Ces plaintes seront basées sur le non-respect du principe de précaution et envahiront toutes les juridictions possibles depuis la Cour de justice de la République jusqu’au plus petit tribunal de province.

 

À la peur du Politique s’ajoute l’angoisse des catastrophes psychiatriques et surtout économiques qui résulteront du confinement et du principe de précaution, paralysant et biaisant toute décision. Il n’est en effet pas impossible que les dégâts économiques et psychosociaux soient aussi dévastateurs que le virus lui-même.

 

Pris entre ces deux peurs, ces deux angoisses, terrifié par le pouvoir qu’il a abandonné au système judiciaire, le Politique, quel qu’il soit, est paralysé dans son action et tergiverse pour la moindre décision. Il cherche à conjurer par avance la menace judiciaire en se couvrant de l’autorité scientifique, elle-même divisée, et révélant le plus souvent son ignorance.

 

Le pouvoir des juges, amplifié par la presse et les réseaux sociaux, a tourné à la chasse au bouc émissaire : dès que la justice accuse, la presse et les réseaux sociaux condamnent. C’est le principe même du bouc émissaire : il est coupable, parce qu’accusé ! C’est un retour au mécanisme primitif de la mise à mort d’un coupable supposé et accusé d’être responsable des catastrophes que l’on subit et que l’on ne s’explique pas. C’est en fait une inversion de la justice, une perversion d’une institution judiciaire, qui s’était peu à peu affranchie de ce mécanisme qui guidait encore son action au temps de l’inquisition : plus besoin de jugement ni d’avocat, un accusé est coupable et « il n’y a pas de fumée sans feu ».

 

Cette instrumentalisation de la justice, et la peur qu’elle engendre, efface tous les progrès qu’elle avait faits au cours des siècles et ramène notre civilisation au mécanisme mis en œuvre par les sociétés primitives pour conjurer la violence.

 

Le confinement est le comble du principe de précaution : « Ne prenez aucun risque. Restez chez vous. Lavez-vous, purifiez-vous, ne sortez pas, ne voyez personne, gardez vos distances ». Enterrés vivants, vous ne risquez plus rien !

 

Les vieillards confinés sont ainsi invités à attendre la mort et le langage devient paradoxal : on est mort que si l’on est décédé !

 

Paris, le 3 mai 2020

 
Dernière modification : 03/05/2020

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